Fiche Auteur Taniguchi, Jirô
Nom : Taniguchi , Jirô
Activité : scénariste, dessinateur, coloriste
Albums dans la base: 98
Mort le samedi 11 février à l’âge de 69 ans des suites d’un cancer, Jiro Taniguchi était adulé en France, bien plus que dans son propre pays, le Japon. Cette singularité tient à son style, contemplatif et littéraire, introspectif et intimiste, très éloigné des stéréotypes que l’on prête habituellement au manga. De lui, on disait qu’il était le plus « européen » des dessinateurs nippons. Le seul capable de faire la synthèse entre deux arts que l’on a souvent opposés, mais qui n’en forment en fait qu’un seul : la bande dessinée et le manga.
« Le paradoxe, c’est que tout en étant mangaka, mon style est assez proche de la bande dessinée à l’européenne et que je mets beaucoup d’éléments dans chaque image. Je me situe sans doute entre la BD et le manga de ce point de vue. Et c’est peut-être ce qui fait que pour certains lecteurs japonais mes mangas sont difficiles à lire », confiait-il à l’écrivain et scénariste Benoît Peeters dans un livre d’entretiens paru en 2013 (Jiro Taniguchi, l’homme qui dessine, Casterman).
Jiro Taniguchi laisse derrière lui une œuvre dense et élégante dont les sommets s’appellent L’Homme qui marche (Casterman, 1995) et Quartier lointain (Casterman, 1999). Influencé par le cinéma d’Yasujiro Ozu, mais aussi par les romans de Boris Vian et de Jean-Marie Le Clézio, il a développé des thèmes longtemps peu traités en bande dessinée, avant que le roman graphique ne s’en empare au tournant des années 2000 : la trivialité de la vie quotidienne, le temps qui passe, le poids des déterminismes sociaux, les non-dits familiaux…
Le voyage « intérieur »
Dessinateur de l’impalpable, Taniguchi a aussi beaucoup raconté les relations de l’homme avec les animaux et la nature, et ce sans jamais se départir d’une narration lente et apaisée, en rupture totale avec la rapidité de lecture prônée par les grands éditeurs japonais de manga. Le voyage « intérieur » prime chez ses personnages aux traits irrémédiablement mélancoliques – même s’il n’en a pas toujours été ainsi.
Né en 1947 à Tottori, dans le sud de l’archipel, au sein d’une famille modeste – son père est coiffeur, sa mère femme de ménage et employée de pachinko (les salles de machines à sous) – c’est sur le tard, à l’âge de 22 ans, qu’il décide de devenir mangaka alors qu’il n’a suivi aucune formation artistique et qu’il a commencé une ennuyeuse carrière de cadre dans une entreprise. Le modèle qu’il veut suivre est le gekiga, un style de manga pour adultes abordant des sujets sociaux ou historiques faisant la part belle à la psychologie des personnages. L’un de ses maîtres s’appelle Kazuo Kamimura, que le festival d’Angoulême vient de célébrer cette année.
Lire : Les estampes singulières de Kazuo Kamimura
Taniguchi devient son assistant après avoir multiplié les tâches ingrates dans différents studios. C’est à cette époque qu’il découvre la bande dessinée européenne. Celle-ci est alors très peu traduite au Japon. Comme de nombreux auteurs nippons, il va être profondément marqué par la virtuosité d’Enki Bilal et par celle de Jean Giraud, alias Moebius, avec qui, plusieurs décennies plus tard, il mènera un projet en commun dans le domaine de la science-fiction, Icare (Kana, 2005).
Récits policiers dans le style hard-boiled
Ses premières histoires publiées sous son nom ne laissent en tout cas rien présager de la délicatesse de ses univers : Ville sans défense, Le Vent d’Ouest et Lindo 3 sont des récits policiers dans le pur style hard-boiled. Ecrits par Natsuo Sekikawa, ils inaugurent une longue collaboration avec ce scénariste qui, à partir de 1987 et pendant dix ans dans les pages du magazine Weekly Manga Action, va offrir à Taniguchi l’occasion de réaliser son premier chef-d’œuvre : Au temps de Botchan. Ce panorama de l’histoire sociale et politique du Japon sous l’ère Meji (1867-1912) invoque de nombreux romanciers et poètes, tout particulièrement Soseki Natsume, l’auteur de Botchan, l’un des romans les plus populaires au pays du Soleil-Levant.
« Inviter à réfléchir sur les désordres dont l’homme est capable dans sa soif de vanité »
Considérée comme le premier manga « littéraire », cette saga en cinq tomes n’a pas empêché Taniguchi de produire en parallèle d’autres récits. Comme K, du nom d’un guide alpiniste appelé pour secourir le fils d’un magnat du pétrole bloqué sur la face inviolée d’un mont himalayen. Ou Blanco, l’histoire d’un chien victime de manipulations génétiques ayant échappé à ses tortionnaires. Aussi « aventureuses » soient-elles, ces séries sont surtout l’occasion pour le dessinateur d’inviter à réfléchir sur les désordres dont l’homme est capable dans sa soif de vanité.
C’est habité par cette même idée que Jiro Taniguchi va écrire et dessiner l’une des bandes dessinées les plus originales jamais réalisées, L’Homme qui marche. L’histoire est difficile à résumer, étant donné qu’il n’y en a pas vraiment. Le lecteur suit les pas d’un promeneur solitaire qui déambule au hasard, de jour comme de nuit, sans autre plaisir que de savourer les petits riens du quotidien qui se présentent à lui : le bruit du vent dans les cerisiers en fleurs, le contact de l’eau pendant une baignade, la contemplation des étoiles dans le ciel…
Plages de silence et moments de méditation
Les principales caractéristiques du style Taniguchi sont désormais en place. Plages de silence et moments de méditation alternent au fil d’un récit qui fait s’étirer le temps. Sur le plan graphique, le dessinateur a également élaboré sa facture propre, marquée par un trait réaliste emprunt de ligne claire européenne et un usage de la trame rarement égalé. L’industrie du manga, au Japon, condamne en effet les dessinateurs à travailler en noir et blanc pour des raisons économiques. Seule l’utilisation de trames pré-imprimées – faites de points noirs plus ou moins rapprochés – permet alors de figurer les contrastes et les effets de profondeur. De cet exercice contraint, Taniguchi a fait un art en tant que tel.
Art qui va traverser les nombreuses réalisations qui sortiront par la suite de son studio situé dans la banlieue ouest de Tokyo : l’Orme du Caucase, le Gourmet solitaire ou encore le Journal de mon père dans lequel il relate les souvenirs qui assaillent un homme venu assister à l’enterrement de son père. Mais c’est avec Quartier lointain qu’il va accéder à la reconnaissance qui lui fait encore défaut.
Ce récit onirique démarre sur une erreur d’aiguillage, au sens strict du terme : Hiroshi, un salary man sans histoire d’une quarantaine d’années se trompe de train un matin et se retrouve dans la ville de son enfance. Il en profite pour se recueillir sur la tombe de sa mère avant d’être transporté dans la peau de ses 14 ans, juste avant la disparition inexpliquée de son père. L’album recevra le prix du meilleur scénario au festival d’Angoulême en 2003. Il sera adapté au cinéma en 2010 par le réalisateur belge Sam Garbarski qui transposera son action dans la France des années 1960.
L’Hexagone était décidément la deuxième patrie de cet artiste raffiné, à qui le musée du Louvre proposa, en 2014, de réaliser un album (Les Gardiens du Louvre) dans le cadre de sa collection BD créée en collaboration avec Futuropolis. Jiro Taniguchi était le premier à s’étonner de compter autant de lecteurs si loin du Japon. Lui-même mettait cela sur le compte de « l’attention qu’on porte sur le texte » en France. Deux expositions importantes lui furent consacrées dans le pays, l’une par l’abbaye de Fontevraud en 2012, l’autre par le festival d’Angoulême en 2015, sous le titre : « Taniguchi, l’homme qui rêve ». On ne saurait mieux dire.
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Blue corner (V.O. japonais : 青の戦士) | |
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